samedi 14 février 2015

Rêve de voyage


Il fait chaud. Je suis bien. Repu de sommeil. Un rayon de soleil me chatouille les orteils. Ca fait du bien de se sentir léger, d’avoir abandonné ces poids et ces chaînes pour un week-end. Quitter le froid, les articles, les élèves, le bruit, la culpabilité, les débats interminables. J’inspire, j’ai toujours les yeux fermés, et je balade mes mains. Tu es là, tu m’as entendu gigoter. En un instant nos corps se sont rapprochés, se sont collés. La fameuse cuillère tant rêvée. Elle est entre mes mains maintenant. Tu peux sentir mon souffle chaud sur ton oreille. Toi aussi tu as lâché tes poids. Cette tristesse, ces peurs, ces cours, ces conférences, ces doutes. On a enfin décidé de s’abandonner, ensemble, au moins un instant. Tout est allé vite. Je l’ai dit, tu y avais pensé aussi. On a pris le premier week-end qui arrivait, la première ville chaude qui nous faisait rêver, quelques mots tapés sur un clavier, quelques centaines d’euros dépensés, tout était réglé. On s’est retrouvés, timides, effrayés par notre propre folie, on s’est envolé, et petit à petit on a senti toute cette légèreté qui nous accompagnait enfin. Alors on s’est doucement senti plus à l’aise, on a commencé à rire, et se chamailler, à s’effleurer. On atterrit, le vent nous décoiffe, le soleil nous réveille, qu’il fait bon de profiter un peu l’un de l’autre, de profiter de ce désir, de cette attirance, et de commencer à se faire confiance.
Après diner, nous savions quelle danse nous attendait. Mais rien ne pressait ; on l’avait tant attendue, rien ne pressait désormais.


Ce rêve, je l’ai fait, elle aussi. Ça aurait pu être aujourd’hui. Valentin nous aurait accompagné dans notre folie, nous aurait parsemé de rougeurs qui réchauffent les cœurs.

J’ai été le premier à fuir. Inconsciemment, méchamment, j’ai voulu la mettre à l’épreuve, lui montrer que ça n’était pas possible. Et je l’ai blessée, et convaincue.
Aujourd’hui, c’est elle qui me fuit. J’ai pourtant montré qui je suis, autant que je le pouvais, en pariant, en espérant qu’elle verrait que j’étais bon. J’étais convaincant au point que nos désirs, nos rêves ont concordé. Nos inconscients ont voyagé ensemble. Mais non, la peur, la raison, nous ont rattrapé. Les gens ont peur de vieillir parce qu’ils ont peur de voir leur corps en pâtir. Moi c’est la fuite de la petite folie qui m’effraie. C’est comme si la raison gagnait du terrain tout autour de moi, à l’intérieur de moi, aussi, et que j’étais le seul à m’en rendre compte. Faire confiance au petit ange, alors que le petit diablotin s’évapore.
Aujourd’hui je me vide. Je tente de redevenir cet ado fuyant et sans expérience, je redeviens cet ami éternellement asexué. Je ne sais exactement pourquoi. Peut-être parce que je veux me convaincre que ça pouvait marcher avec elle, que tout revient à ce jour où je l’ai faite fuir. J’aurais pu batailler sans fin, je ne pouvais plus jamais la convaincre. Alors je me lave de ce reproche, pour qu’il ne me soit plus jamais fait. Je n’ai que faire de ces chaires qui m’entourent ; elle n’a pas compris ça. Je ne l’ai pas aidée, il faut dire.
L’ironie me joue des tours. Que ce soit S.T. Garp, Barney & Ted, C. Grey, je nous vois ici et là, je suis assailli de réflexion sur la jalousie, sur les amitiés avec ses exs, sur les différences qui attirent et excitent, sur les différences qui séparent, sur ce chemin interminable et semé d’embûches, sur cet éternel retour au point de départ. Et je n’ai pas plus de réponse qui se présente à moi. Elle ne veut être qu’un beau souvenir, elle dit s’en contenter et s’en satisfaire. Tout ça est bien trop raisonnable. Moi je ne veux que des souvenirs de celle que je peux prendre dans mes bras, maintenant.
Et donc, il ne reste rien, rien que ces mots qui se doivent de sortir, et de s’envoler. Il pleut, il fait froid ; je me sens fatigué, entouré de cette grisaille parisienne qui est revenue me grattouiller le cœur.